De la grande à la petite histoire

Théâtre et récits manquants de la colonisation

Avec le Théâtre de la Colline – Saison 2019/2020

Projet d’Éducation artistique et culturelle Avec le soutien de la région Île-de-France

Depuis septembre 2018, les élèves de trois classes de seconde et première des lycées Jean-Moulin à Torcy et Condorcet à Saint-Maur participent à un parcours croisé autour des nouvelles formes d’écritures de l’histoire. Accompagnés en classe par des intervenants artistiques et leurs professeurs, ils interrogent leurs propres récits manquants de l’Histoire de France.

En écho à la création de la trilogie Points de non-retour d’Alexandra Badea les élèves ont chacun mené une enquête familiale, questionnant des proches sur des événements tels que la Guerre d’Algérie, l’émigration depuis l’Afrique ou l’Europe, la Seconde Guerre mondiale. Durant une année d’ateliers, aux côtés de Daisy Body, Charlotte Lagrange, dramaturges et Mélanie Péclat, créatrice sonore, ils ont écrit et réalisé des productions radiophoniques livrant leurs histoires plurielles.

Établissements participant au projet

• lycée Jean-Moulin à Torcy
classes de seconde générale et première L/ES de Benoît Lefèbvre, professeur d’histoire, Johan Milan-Heude, professeur de lettres, et Sarah Le Scornet, professeure documentaliste
• lycée Condorcet à Saint-Maur-des-Fossés
classe de première ES de Cédric Maurin, professeur d’histoire
• lycée Louise-Michel à Champigny-sur-Marne
classe de première ES de Thibault Leroy, professeur d’histoire

Soutiens

Projet mené dans le cadre d’un dispositif de classe à Projet artistique et culturel, soutenu par le rectorat de Créteil
Ce projet a été conçu dans le cadre du dispositif d’aide à l’action ponctuelle d’Éducation artistique et culturelle de la région Île-de-France.

Remettre l’humain au cœur des processus historiques

Témoignages des professeurs et intervenants artistiques

C’est au terme de plusieurs mois de travail que ce projet artistique, qui rassemble des élèves
du lycée Jean-Moulin de Torcy, s’est concrétisé. Il s’est affranchi de son cadre purement scolaire pour devenir une expérience enrichissante non seulement pour le groupe tout entier, mais aussi pour chacun des participants. En tant qu’enseignants, nous avons été heureux de voir nos élèves s’intéresser à leurs origines et s’investir dans ce projet, sans jamais perdre de vue la dimension humaine ainsi que le bénéfice personnel qu’ils pouvaient en retirer. Nous sommes fiers d’eux.

Benoît Lefebvre, professeur d’histoire, Johan Milan-Heudes, professeur de français et Sarah Le Scornet, professeure documentaliste au lycée Jean-Moulin à Torcy

 

Travailler sur le lien entre petite et grande histoire pour en faire une pièce radiophonique, en une vingtaine d’heures, il y avait quelque chose d’une gageure.
Mais chacun a en soi une partie de la grande Histoire. Et ces jeunes gens avaient tous des histoires intimes à raconter. Anciennes, mais aussi urgentes.

Dès le premier jour, ils se sont racontés les uns aux autres. En écrivant sur un grand-père ou une grand-mère, ils parlaient déjà d’eux, de leurs origines, mais surtout de la manière dont ils les percevaient aujourd’hui, dont ça les constituait ou leur manquait aujourd’hui.
Il était important pour moi de passer par la fiction pour ne pas être dans un témoignage brut, car par la fiction, par le mensonge, on dit souvent bien plus que par le réel, on ment-vrai.
Alors nous sommes passés par le rêve. Ils ont inventé un rêve avec leur grand-père ou leur grand-mère, que ce parent soit réel ou imaginaire. Par les rêves se dit le monde. Et eux ont ainsi constitué un monde de leurs récits oniriques.

Rassemblés autour de trois micros, ils ont parlé, chuchoté, et se sont accompagnés les uns les autres de chants et de rythmes. Et en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, ils ont enregistré leur monde de cauchemars et de rêves mêlés. En voici les textes…

Charlotte Lagrange, dramaturge, metteure en scène et intervenante auprès de la classe de première du lycée Jean-Moulin à Torcy

 

À l’heure où j’écris ces lignes, je suis en train de monter les quatre créations qui sont retranscrites ici. Plusieurs heures par jour, j’écoute les voix de ces jeunes gens, j’entends leurs questionnements, leurs hésitations, leurs regrets, leurs espoirs, ce qui les touche, ce qui les anime.
Il est des projets qui grandissent ceux qui y participent, de quel côté que ce soit. C’est le cas ici. Chacune, chacun, nous avons grandi dans la rencontre, nous avons appris à nous écouter et à harmoniser nos voix. Toutes et tous, nous avons apporté notre pierre singulière à la construction de ces œuvres sonores, et, par-là, avons écrit une histoire commune. C’est notre histoire qui est racontée ici, celle d’une humanité plurielle, nomade, riche et fière. Ces voix résonneront longtemps à l’intérieur de moi, comme autant de rappels de ce pourquoi la création artistique ne peut en aucun cas être séparée de ce qu’on appelle « médiation », mais qu’il serait plus juste de nommer « transmission ». Car c’est de ça qu’il s’agit. D’une transmission de nos désirs artistiques, comme un flambeau confié aux générations futures. Qu’elles en fassent ce qu’elles veulent ; c’est en toute confiance que je leur passe le relais. Il est des projets qui grandissent ceux qui y participent.

Mélanie Péclat, créatrice sonore sur l’ensemble des classes du projet

 

Récits manquants, non-dits, tabous qui marquent les histoires personnelles, familiales. Un passé douloureux, honteux et coupable parfois, que l’on n’ose pas affronter et qui se transforme en poison existentiel. L’histoire de la colonisation en France est un de ces sujets sensibles, étudié rapidement en quelques heures de cours ; temps insuffisant par rapport à l’importance de la colonisation dans la France actuelle. L’idée était d’impliquer les élèves et de leur montrer qu’ils étaient tous, plus ou moins liés à cette histoire; pour une fois ce ne serait pas un énième chapitre à apprendre par cœur pour l’obtention d’une bonne note, mais une recherche sur leur histoire familiale, un vrai travail d’historien. Ainsi, j’ai mis en place avec les 1ères ES3 un travail d’enquête historique sur leur passé familial, lié à la colonisation ou non, pour leur faire expérimenter ce que c’est de réellement faire de l’histoire : se questionner, chercher et interpréter des archives, la difficulté de recueillir des témoignages, mettre sur pieds un récit historique.

Les élèves ont tenu un carnet de bord, semaine après semaine, sur leurs avancées, difficultés, impasses, ressentis, émotions. Il ressort du corpus de leurs textes une incroyable diversité et richesse qui font voler en éclat l’histoire de la colonisation telle qu’on la pratique dans les programmes. Il apparaît évident à la lecture, que cette histoire doit se faire sous l’angle d’une histoire impériale, qui remet la France dans le contexte de la réalité et diversité de son empire, mais aussi d’une histoire mondiale qui remet l’empire français dans le contexte plus large du fait colonial. Une histoire par le bas qui remet l’humain au cœur des processus historiques traumatiques. Lors du projet, les langues des parents et surtout des grands-parents se délient, les récits manquants se comblent, les générations se rapprochent. Le total soutien des parents montre à quel point ce travail historique est important et nécessaire. Le travail d’enquêtes mais aussi de récits d’invention des élèves a donné lieu à une œuvre écrite, scénarisée par Daisy Body, œuvre qui a servi de base de travail pour l’enregistrement d’une œuvre sonore montée par Mélanie Péclat. Aux lecteurs et spectateurs d’apprécier ces récits riches et émouvants.

Cédric Maurin, professeur d’histoire au lycée Condorcet à Saint-Maur-des-Fossés

 

En juillet 2018 quand l’auteure Alexandra Badea et Marie-Julie Pagès, responsable des publics scolaires à La Colline, m’appellent pour me proposer de participer au projet « De la petite à la grande Histoire : les récits manquants », je sors tout juste d’un mois de représentations de À la trace à La Colline justement – spectacle sur lequel je suis collaboratrice artistique, et dont Alexandra est l’auteure. Je réalise alors que je n’ai jamais entendu parler du massacre de Thiaroye, qu’on s’est bien gardé de m’enseigner ce pan de l’histoire française sur les bancs de l’école publique. Le projet me parle et je suis impatiente de m’engager dans ce chantier mêlant Histoire, écriture, interprétation et création sonore.

Ce qui importe lors d’action d’éducation artistique et culturelle, c’est ce qui va se produire, séance après séance, pour les acteurs/auteurs, ici des classes de lycéens. Ce que ne reflétera jamais un bilan, ni même la création finale, c’est : le parcours, la rencontre, la tentative de faire collectif, les questionnements et les doutes, l’énergie qui se diffuse et infuse, la création en chantier, toutes les tentatives et pistes lancées, parfois abandonnées. Et autant que faire se peut, se débarrasser, éloigner de soi les notions d’échec, de réussite, d’objectif à atteindre, mais être au contraire être du côté de la création, de la tentative, de la prise de parole. Que chacun puisse s’exprimer – sans exception, trouver sa place, agir sur les choix inhérents à une création en cour voilà quels étaient mes/nos objectifs.

Daisy Body, intervenante artistique auprès des classes de première du lycée Condorcet à Saint-Maur et de seconde du lycée Jean-Moulin à Torcy

 

Cahier de l'atelier

Livret des textes de l'atelier